Les grands récits de la déportation et des camps de la barbarie nazie portent à sa plus extrême radicalité ce qui nous est légué d'expérience humaine, d'une part irréductible de notre propre condition, dont nous sommes tous porteurs. Ce que nous sommes, nous le devons aussi à ces récits où on regarde le bourreau en face. Le Shnorrer de la rue des Rosiers est un livre humble. Par son personnage, puisque le Shnorrer, en yiddish, c'est le mendiant professionnel et le rôle qu'il joue dans la communauté. Mais c'est la posture de Michèle Kahn qui définit aussi cette humilité : on vous confie un récit, et votre tâche est de rendre collectif ce récit, collective la mémoire de ce récit. Les ghettos juifs dans les capitales d'Europe avant la seconde guerre mondiale, l'irruption de la catastrophe, la façon dont on résiste et s'organise dans l'extrême devenu quotidien, et la mort une mécanique. Nous connaissons ces figures, parce que nous avons déjà lu des témoignages et des récits sur l'univers concentrationnaire. Mais chaque récit en rejoue en entier la condition, la question sans réponse. Humble, enfin, par cette rue des Rosiers : on la connaît bien, à Paris. Les derniers survivants s'éteignent progressivement. C'est à nous désormais de tenir parole, leur tenir parole. Le génocide nazi pourrait sembler un événement loin de notre présent, loin de notre espace : le Shnorrer vient nous dire que c'est ici, maintenant, que c'est l'autre devant vous.
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