Reseña del editor:
Extrait: ...et cessa de nous voir, tandis que s'ébranlait l'appareil redoutable des notaires et des avoués. J'avais onze, douze ans, et ne comprenais rien à des mots comme tutelle imprévoyante, prodigalité inexcusable, qui visaient mon père. Une rupture suivit entre le jeune ménage et mes parents. Pour mes frères et moi, elle ne fit pas grand changement. Que ma demi-soeur - cette fille gracieuse et bien faite, kalmoucke de visage, accablée de cheveux, chargée de ses tresses comme d'autant de chaînes - s'enfermât dans sa chambre tout le jour ou s'exilât avec un mari dans une maison voisine, nous n'y voyions ni différence ni inconvénient. D'ailleurs, mes frères, éloignés, ressentirent seulement les secousses affaiblies d'un drame qui tenait attentif tout notre village. Une tragédie familiale, dans une grande ville, évolue discrètement, et ses héros peuvent sans bruit se meurtrir. Mais le village qui vit toute l'année dans l'inanition et la paix, qui trompe sa faim avec de maigres ragots de braconnage et de galanterie, le village n'a pas de pitié et personne n'y détourne la tête, par délicatesse charitable, sur le passage d'une femme que des plaies d'argent ont, en moins d'un jour, appauvrie d'une enfant. On ne parla que de nous. On fit queue le matin à la boucherie de Léonore pour y rencontrer ma mère et la contraindre à livrer un peu d'elle-même. Des créatures qui, la veille, n'étaient pourtant pas sanguinaires, se partageaient quelques-uns de ses précieux pleurs, quelques plaintes arrachées à son indignation maternelle. Elle revenait épuisée, avec le souffle précipité d'une bête poursuivie. Elle reprenait courage dans sa maison, entre mon père et moi, taillait le pain pour les poules, arrosait le rôti embroché, clouait, de toute la force de ses petites mains emmanchées de beaux bras, une caisse pour la chatte près de mettre bas, lavait mes cheveux au jaune d'oeuf et au rhum. Elle mettait, à dompter son...
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